Repenser liberté et santé au travail grâce au conseil cognitif et comportemental

Repenser liberté et santé au travail grâce au conseil cognitif et comportemental

Article

15 oct. 2025

15 oct. 2025

Nous vivons une époque où le paradoxe est devenu la norme : les organisations vantent leur agilité, mais leurs cultures restent prisonnières de réflexes hérités d’un monde qui n’existe plus. Les dirigeants appellent à l’innovation, mais prennent leurs décisions à travers des grilles mentales vieilles de vingt ans. Les individus, eux, rêvent de liberté, tout en reproduisant mécaniquement des schémas qui les étouffent.

Le vrai problème n’est ni le stress ni la charge de travail — c’est notre incapacité à sortir des cadres de pensée qui ont perdu leur pertinence. Nous épuisons nos énergies à appliquer des solutions anciennes à des défis inédits, comme si la santé au travail se réduisait à tenir debout dans un système qui nous malmène.

Pourtant, comme le soulignait Georges Canguilhem, la santé n’est pas l’absence de trouble, mais la capacité à inventer de nouvelles normes. Elle ne se mesure pas à notre conformité aux attentes, mais à notre puissance de nous réinventer quand tout vacille. Être en bonne santé, c’est oser remettre en question ce qui nous semble aller de soi — y compris nos propres habitudes.

C’est là que le conseil cognitif et comportemental révèle sa force : non comme une technique de plus pour "mieux s’adapter", mais comme un art du désapprentissage. Un moyen de retrouver la liberté de penser (cognitive) et la liberté d’agir (comportementale), dans un monde où la survie psychologique dépend moins de notre résistance que de notre plasticité.

1. La santé comme normativité : quand la liberté passe par la déviation

Dans Le Normal et le Pathologique, Georges Canguilhem nous offre une idée révolutionnaire : la santé n’est pas la conformité à une norme, mais la capacité à en inventer d’autres.

Un organisme sain n’est pas celui qui s’adapte docilement à son environnement, mais celui qui supporte les écarts et réinvente ses propres régulations.

Pierre Ancet, dans La santé dans la différence, prolonge cette intuition :

“La santé, c’est la capacité à tolérer l’infraction du milieu et à s’en relever.”

Autrement dit, la santé n’est pas absence d’anomalie, mais aptitude à la métamorphose.

Au travail, c’est la même logique : un individu “sain” n’est pas celui qui coche les cases d’une performance standardisée, mais celui qui sait se décaler de son paradigme professionnel, remettre en question ses manières de décider, de coopérer ou de se juger.

Celui qui comprend que les anciens réflexes — tout contrôler, éviter le risque, attendre le cadre — sont devenus pathogènes dans un monde fluide.

“Une vie humaine valant la peine d’être vécue est une vie valant subjectivement la peine d’être vécue.”

— Pierre Ancet

La liberté cognitive, ici, consiste à réhabiliter l’écart : la capacité de dire “ce n’est plus opérant, je dois penser autrement.”

2. Le conseil cognitif et comportemental : désapprendre pour retrouver la liberté

Le conseil cognitif et comportemental n’est pas une technique de plus dans la panoplie du management.

C’est une discipline du déconditionnement.

Son objectif : aider les individus à repérer les paradigmes invisibles qui orientent leur façon de penser et d’agir — puis à les faire muter.

  • A. Libérer la pensée — sortir de sa carte mentale

Nos croyances ne sont pas de simples opinions : ce sont des architectures mentales qui filtrent la réalité.

Elles se sont construites dans un contexte donné — souvent pour nous protéger —, mais deviennent des prisons quand le contexte change.

Un dirigeant peut s’être bâti sur la croyance “Je dois tout contrôler pour être compétent.”

Ce paradigme a fait son succès… jusqu’au jour où l’environnement est devenu trop complexe pour être contrôlé.

Dès lors, cette croyance protectrice devient un handicap adaptatif.

Le travail cognitif consiste alors à pratiquer une archéologie de ses schémas mentaux : identifier les vieux réflexes, les tester, les déconstruire.

Les approches issues des TCC, de l’ACT ou de la pleine conscience offrent des leviers puissants : défusion, questionnement socratique, restructuration cognitive.

“La santé, c’est le luxe de pouvoir tomber malade et de s’en relever.”

— Canguilhem

Dans le monde du travail, tomber malade, c’est prendre conscience que son cadre de pensée ne fonctionne plus.

S’en relever, c’est en inventer un autre.

  • B. Libérer l’action — expérimenter pour changer de monde

Mais penser autrement ne suffit pas : encore faut-il agir autrement.

Nos comportements sont souvent dictés par des scripts anciens : la peur du jugement, la recherche de validation, la fuite du conflit, la compulsion à prouver.

Les approches comportementales permettent de réécrire ces scénarios — non pas en théorie, mais par l’expérimentation.

C’est le principe de la micro-action :

  • Oser dire non à une tâche inutile.

  • Changer la manière de diriger une réunion.

  • Tester un rituel différent de collaboration.

  • Chaque expérience devient une preuve empirique que d’autres façons d’être sont possibles.

Le comportement reprogramme la cognition — c’est ainsi que se reconstruit la liberté.

Cette logique d’expérimentation rejoint la notion de bricolage, chère à Mallak et à Lévi-Strauss : faire avec ce que l’on a, transformer la contrainte en ressource.

C’est la résilience active : non pas résister, mais reconfigurer son système d’action.

3. Le piège de la normalisation : quand l’adaptation devient docilité

Le paradoxe, c’est que même la liberté peut être normée.

Les entreprises adorent parler d’autonomie, de responsabilité, d’“empowerment”… mais souvent pour masquer une injonction à s’adapter sans broncher.

“Soyez résilient”, “soyez acteur de votre bien-être”, “gérez votre stress” : autant de slogans qui déplacent la responsabilité du collectif vers l’individu.

On fabrique des salariés hyperadaptés, flexibles jusqu’à la rupture, incapables de dire non à l’absurde.

Pierre Ancet le souligne :

“L’individu trop bien adapté à son cadre de vie est un individu fragile.”

La vraie résilience n’est pas la soumission créative, mais la capacité à dire non au modèle dominant — y compris à ses propres modèles mentaux.

Le conseil cognitif et comportemental doit donc rester un outil d’émancipation, pas de performance.

Aider à retrouver la liberté, pas à mieux fonctionner dans la cage.

4. Vers une culture du désapprentissage : agir sans reproduire

Pour les salariés

Micro-action cognitive : identifier une idée obsolète qui guide encore vos décisions (ex : “il faut souffrir pour réussir”).

→ Cherchez trois contre-exemples vécus.

Micro-action comportementale : testez une manière différente de faire — une mini-rébellion bienveillante.

Pour les managers

Créez des espaces de suspension du jugement : des temps où l’on peut questionner les règles sans conséquence.

Valorisez non la conformité, mais la capacité à reformuler le problème.

Pour les consultants et coachs

Commencez par le cadre de référence du client : comment pense-t-il le monde ? quelles sont ses équations implicites ?

Plutôt que d’ajouter des outils, aidez-le à se délester de ce qui n’est plus utile.

“La santé, comme la liberté, se mesure à la capacité de transformer les obstacles en opportunités — et les certitudes en questions.”

— Synthèse libre de Canguilhem & Ancet

Conclusion — Sortir du cadre pour retrouver le réel

Retrouver sa liberté cognitive et comportementale, c’est cesser de chercher la solution dans les mêmes circuits neuronaux qui ont produit le problème.

C’est accepter que nos paradigmes mentaux soient périssables, et que le courage, aujourd’hui, consiste moins à décider vite qu’à penser autrement.

La santé psychologique, au fond, n’est qu’un autre nom pour la plasticité existentielle : la faculté de se réinventer quand tout vacille.

C’est là que le conseil cognitif et comportemental retrouve sa vocation la plus noble : réapprendre à penser le monde sans s’y dissoudre.

Alors, cette semaine, posez-vous une seule question :

👉 Quel vieux schéma dirige encore mes choix sans que je le voie ?

Et demandez-vous, calmement :

Et si je pouvais en sortir ?

Parce que la liberté n’est pas l’absence de cadre —

C’est la capacité d’en changer.

Maxime
Rabéchault

Maxime
Rabéchault